lundi 30 janvier 2017

Youssef Chahed : décryptage du discours du 14 janvier

Je sais, je sais. Décrypter le discours du chef du gouvernement deux semaines en retard, c'est pas sérieux! Pourquoi ce retard ?  J'avais 2 saisons de retard sur Southpark sans compter la nouvelle saison de The Walking Dead (Negan est sérieusement flippant, non ?) Bref, il vaut mieux trop tard que jamais. Ou peut-être pas :)

Sans doutes, il y a du nouveau côté com. gouvernementale. Sans être une révolutionnaire sous le soleil, le discours du 14 janvier est intéressant à mon sens parce qu'il révèlent plusieurs éléments d'un virage serré. On décrypte :


L'IMAGE : composition et com. non verbale

D'abord, l'image, et l'image était incontestablement la grande nouveauté dans les discours gouvernementaux.
Loin du cadre officiel des palais, le choix du lieu était à mon sens intéressant : l'IPEST, l'école qui prépare les ingénieurs d'élite. Le thème de la jeunesse en tant que valeur révolutionnaire puis comme valeur du développement économique a été largement usé par la classe politique, au point que cette catégorie politique ait été complètement vidée de sens.  Le mot a été dévitalisé, un peu à la manière du mot "révolution". Le temps des discours - ancrés sur les mots- est terminé. Nous sommes à l'ère des discours ancrés sur les images. Parler des jeunes, c'est bien, les montrer c'est encore mieux. Des jeunes derrière le Prems, des jeunes devant, des jeunes partout. La représentation des jeunes à l'image est le premier bon point pour le Prems.





Le deuxième bon point concerne la représentation des régions. En réalité, 50% des étudiants de l'IPEST sont issus des gouvernorats "intérieurs". Dans notre drame sociale qui souffre du mépris de classe d'un côté et de la jalousie de classe de l'autre sur fond de régionalisme, c'était très très bien joué de la part de l'équipe du Prems de jouer cette carte.

Mais est-ce tout ce qu'il y avait à voir ? Bien entendu, le choix de la salle du martyr Hatem Ben Tahar accentue l'aspect commémoratif de l'évènement. N'oublions pas que nous sommes le 14 janvier et qu'il fallait bien marquer le discours dans la commémoration sans tomber dans le verbiage "3id al thawra al majida wal moubaraka" avec une partie de l'opinion publique de plus en plus réactionnaire envers tout ce qui est révolutionnaire. La représentation des martyrs est le troisième bon point.

Mais ce qui suit est encore plus intéressant parce que ça œuvre dans la subtilité de l'image et du message.  Ça peut sembler anodin, mais le respect de la Gender Balance filles-garçons derrière le Prems est révolutionnaire dans nos contrées. Combien de fois avons-nous consommé des images politiques ou les femmes était totalement absente ? La représentation équitable des femmes à l'image est le quatrième bon point.







Le cinquième bon point concernant la représentation des minorités dans un contexte racialement tendu en Tunisie. Réfléchissez-y bien, mais nos concitoyens noirs sont banni de l'espace publique médiatique et politique...Connaissez-vous un(e) député(e) noir ? Un(e) ministre noir(e) ? Un animateur/trice TV noir(e) ? La représentation des minorités dans l'espace publique est une manière de rendre justice à la diversité de notre communauté de citoyens.





Le sixième bon point concerne l'axe de proximité. Contrairement à la tradition tiers-mondiste ou tous les officiels ont droit de siège au premier rang et le reste du monde derrière. A l'image, nous découvrons que tous les ministres sont assis parmi le public sans privilège de siège.


Min. Iyed Dhamani & Sec. Etat Sayda Ounissi



Et l'image, c'est  la communication non verbale. Là, j'ai trouvé le Prems à l'aise. Nettement plus naturel que lors de ces précédents discours avec la cravate en moins. C'est toujours risqué de laisser tomber la cravate, mais sur coup-là, ça a fonctionné, mais pourquoi ? Haha ! C'est simple, la costard, la cravate et tout l'attirail de l'homme moderne est une construction sociale relative. Je sais, je sais c'est barbant et pompeux comme expression. Ce que je veux dire par là, c'est qu'il reste officiel parce que les jeunes derrière lieu contrastent avec leur look de tous les jours. A contrario, si les jeunes derrière étaient en costard trois pièces, ça n'aurait pas fonctionné.

LES MOTS : la sémantique et le vocabulaire

Sur le verbal, je suis un peu resté sur ma faim. Du coup, j'ai dévoré sa7ftine lablebi et deux discours de Gamel Abdennaser avant de dormir. Pourquoi sur ma faim je suis resté ? Dans les détails :

Sur la forme  


D'abord, la longueur du discours : 38 minutes. 38 minutes, c'est long, très long. Je te vois venir et protester :" mais Obama fait des discours de 45 mn ! Luther King de 42 mn! Wou kadha". Je dis pas le contraire, mais pour accrocher l'attention sur une durée qui dépasse les 15 minutes, le discours doit être super méga béton les zamis et blindés de déclencheurs émotionnels. Un discours aussi long, pour fonctionner, il doit nous faire vivre les 7 émotions universelles: surprise, joie, tristesse, dégoût, mépris, peur, colère. Et sincèrement, c'est toujours un sacré défi même pour les plus aguerri des maîtres-plume  !



Mais le recours plus généreux - mais toujours insuffisant- à notre derja rend le discours plus intelligible, plus naturel.


Dans le fond 

Le Prems entame bien son discours avec un trait d'humour. C'est toujours bon de commencer par un trait d'humour, des oreilles détendues sont mieux prêtes à écouter ce que l'on a à dire.
Une fois les oreilles prêtes, le Prems nous présente un discours programmatif. Un discours qui ressemble beaucoup à son discours d'investiture devant l'ARP. Un discours d'intentions...
Mais POURQUOI !!! POURQUOIIIIII!!! Pourquoi un discours programmatif alors que l'enjeu était un discours commémoratif. Loumadha!!!
Le Prems pouvait livrer un discours programmatif sans sacrifier ce rendez-vous annuel pourtant !
C'est une occasion ratée. Les dates symboliques sont une occasion rêvée pour inspirer les citoyens et gagner des points capital-sympathie.




Si le discours s'est écroulé au fil du temps à cause de la technicité et du manque dans son architecture et de clarté  dans les messages, il délivre néanmoins un message fort : la fin du Welfare State, l'enterrement de l’État providence. 
Nous sommes très loin des discours -farfelus- post 14 janvier et pré-élections ou les uns et les autres surenchérissaient sur le rôle de l'état comme entreprise de service socio-économiques All Inclusive.
Les réformes de libéralisation et le libéralisme se taillent la part du lion du discours avec 30 minutes autour de :
L'OpenSky, de la restructuration des entreprises publiques (privatiser), de gouvernance des terres agricoles domaniales, de promotion l'investissement privée, de la restructuration du sectaire bancaire en fusionnant les banques publiques, de  l’archaïsme de l'administration "Ottomane", de la méritocratie, de  corruption, de l'enterrement de l'over-staffing dans la fonction publique et de l'âge de la retraite qui reculera pour équilibrer les caisses sociales.
En gros, c'est un discours nettement plus libéral qui se calerai mieux sur le programme d'Afek Tounes dans l'échiquier politique et que celui de Nidaa Tounes.
Le thème jeunesse quant-à- lui, est relégué à la fin et n'a droit qu'à 1m30. Pareil pour l'agriculture pourtant annoncée comme le pilier de l'économie tunisienne dans le discours du Prems. C'est tout de même dissonant : quand un thème est important, on commence par lui et on lui donne plus de temps. Là, ça ne fonctionne pas. C'est comme dire à votre meilleur pote qu'il est votre meilleur pote mais que vous passez plus de temps avec des copains de second rang. Réfléchissez-y bien!  C'est Fait ? Maintenant, appelez votre meilleur pote et excusez-vous!

En conclusion (j'ai encore 8 pages d'analyse, mais sérieusement, j'ai super faim, du coup j'arrête-là et je vais m'engloutir s7an marqet khodhra, dizouli!!!).
Je disais donc, en conclusion, après 23 ans de discours fictionnel bénaliste et 6 ans de discours fictionnel révolutionnaire, nous entrons - peut-être - dans l'ère du discours réaliste.



jeudi 28 janvier 2016

Caïd Essebsi : le discours de crise déchiffré


8 minutes pour convaincre. 8 minutes pour faire dévier le train de la contestation. 8 minutes pour faire face à la plus grande crise sociale de son mandat. 8 minutes enregistrées au palais de Carthage. C'est dans un format volontairement court que le p-résident de la République Beji Abu Hafedh Essebsi a choisi de s'exprimer. 










Pour être franc, j'aurais préféré regarder la 32ème rediffusion de Nsibti Laaziza. Au lieu de ça, j'ai ressorti mon cerveau du fond du congélateur, rien que pour ton bonheur politique ô toi lecteur !

"El Beji n'a rien dit dans son discours!"-- "un discours vide!" --"bouhouuu bajboujiii tu nous as trahi!". Les avis de mes amis facebook sont unanimes: le discours du Président n'a pas convaincu. Et bien non ! Je ne suis pas d'accord avec mes amis facebook. Le discours a parfaitement servi la stratégie de communication de crise choisie par le staff communication de la présidence : le projet latéral. 

Heu, oui, d'accord, mais c'est quoi le "projet latéral" Docteur ? Bravo ! Bonne question ! JEevois que tu me suis attentivement et j'adore quand tu me poses des questions aussi intelligentes ô toi lecteur.  (toujours caresser le lecteur dans le sens de l'intellect)




Pour faire simple, le projet latéral est l'une des 4 stratégies de communication de crise. Elle se déploie en 4 mouvements parfaitement exécutés par la présidence. 


Mambo number one : la communication doit s'effacer



C'est ce qui explique le délais de quatre jours entre l'embrasement de Kasserine et le discours livré le 22 janvier. 
C'est ce qui explique également le choix du timing de diffusion du discours : 19h10 en access prime time, une plage horaire qui n'attire pas le maximum de téléspectateurs. Logiquement, traditionnellement et rationnellement les discours sont toujours programmés en prime time, vers 21h00 pour maximiser l'audience. Étonnant non ? Pas du tout ! Je te rappelle que la communication doit se faire discrète. 

Mambo number two : L'énonciateur doit contre-attaquer 



Là, ça pioche large, et dans l'ordre sont visés : Hamma Hammami et son front populaire, Hezb Ettahrir et Moncef Marzouki. Tous dans le même sac et tous coupables. Oui coupables mais sans êtres nommés pour ne pas tomber sous la coupe de la justice pour diffamation. Or, désigner un ennemi sans le nommer et menacer sans agir, était une maladresse. L'Homme fort agit, l'homme faible menace.

Mambo number three : Externaliser la responsabilité : Les responsables ? C'est pas nous ! 

Les déclarations étaient dans ce sens claires : "Le gouvernement a trouvé une situation difficile" ou encore "Les manifestants sontau chômage depuis 5 ans". Concrètement, il faut en vouloir à la troika.

Mambo number four : Cela aurait été pire sans nous !

J'ai dis que les quartes mouvements avaient étaient parfaitement exécutés ? Honte à moi ! Les plumes du palais ont oublié le quatrième mouvement.

Mais pourquoi ça ne fonctionne pas ? 


Bien, bien. Hum, hum. Nous venons de le constater, ce discours est une parfaite exécution du projet latéral. Mais pourquoi diable n'a-t-il pas convaincu mes copains sur facebook ?

a-Parce que mes copains sur facebook sont tous verseaux ascendants sagittaires ?

b-Parce que Kafon est un traître


c-Parce que le discours n'était pas adressé à mes amis facebook

And the winner is (roulement de tambours) : parce que le discours de Si El Beji ne visait pas – en priorité – le grand public.

In facto et ad subliminum, le discours ciblait dans le désordre et sans priorité quatre publics différents  :

Les sécuritaires 

Si, Sofiane Bousilmi, le policier mort à Kasserine durant les manifestations a été clairement nommé lorsque le Présiden tprésente ses condoléances à la police et à la famille de cedernier, le manifestant mort Ridha Yahyaoui est presque rendu anonymedans le discours. Il est dilué dans dans la foule par l'expression « le jeune Yahyaoui ».


L'autre message aussi intriguant qu'important était les remerciements exclusifs. Le Président n'a pas remercié tout le corps sécuritaire, ni les policiers et les militaires sur le terrain directement confrontés au danger. Bien au contraire, il a remercié ledirecteurs et les officiers de la police et de l'armée.


Et là, j'avoue, j'ai donné ma langue au chat. Et ce chat s'appelle Sofiane Ben Hamida. C'est lui qui m'a éclairé sur ce point lors de mon intervention sur Express FM au studio de mon super copain Mehdi Kattou. La Présidence avait demandé aux sécuritaires de ne pas tirer à balles réelles et de limiter l'usage de violence. Et c'est les directeurs et les officiers qui ont dû faire avaler la pilule aux agents de terrains. Ça mérite bien un bisou présidentiel non ?



Les contestataires 

Il s'est montré empathique avec des déclarations du type : « On ne peut pas demander à une personne affamée d'attendre encore »


Tout en déplaçant les responsabilités sur les gouvernements post 14 janvier 2011 pour se dédouaner de toute responsabilité.


Côté solution, c'est là que le discours blesse avec une énonciation sans arguments sur le fond, très floue dans la langue et on ne peut plus hésitant dans l'intonation de voix : « j'ai demandé au gouvernement de faire baisser le taux de chômage avec un financement que nous extirperons d'un autre carde ». Sérieux ? Toi lecteur, tu as compris ce qu'il voulait dire ?



Le grand public 

Le grand public était une cible secondaire dans ce discours. Le grand public, comme dans toute situation de crise, est divisé en 3 catégories : les pro-manifestants, les anti-manifestants et enfin, les « j'en ai vraiment rien à foutre de tout ça». L'enjeu pour la présidence est de convertir un maximum de citoyens en anti-manifestants. Et là, quelle moteur plus efficace que la peur ? « La Tunisie est visée dans sa sécurité et sa stabilité » « Daesh est en train de profiter de la situation »



La communauté internationale et les bailleurs de fonds de la Tunisie 




Un autre Monde possible ?

Parmi les choix possibles en communication de crise, le projet latéral était le choix le plus risqué. Il peut se révéler catastrophique si le gouvernement ne présente pas de preuves tangibles des solutions proposées.

Sans jouer au Kerim Sait Tout, la stratégie de reconnaissance ou de rupture aurait été le meilleur choix dans le meilleur des Mondes.Mais c'est quoi la stratégie de rupture Docteur ? Ne vous inquiétez pas, ça ne saurai tarder...



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