mardi 24 mars 2015

Attaque terroriste du Bardo : les 6 erreurs des médias

Une attaque terroristes meurtrière, une intervention qui se solde par la mort de deux assaillants et une prise d’otages entre les deux. C’est une première dans l’histoire de la Tunisie. Un évènement qu’aucun responsable politique ne pouvait imaginer et qu’aucun média ne pouvait  anticiper. Pendant 3 heures, les journaux électroniques, les radios et les télévisions ont couvert en temps réel ce drame. Mais ces médias — censés nous informer — ont-il fait leur métier dans les règles de l’art ?

La chaine française Canal+ notait dans l’émission le grand journal de vendredi dernier le professionnalisme de Mosaïque FM, qui avait, selon eux, éviter de livrer des informations approximatives en quête de buzz contrairement à certains médias français qui ont gravement manqué de professionnalisme lors des évènements de Charlie Hebdo et de Vincennes selon le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA).

Mais Mosaïque semble être le bon élève dans un espace médiatique — longtemps aux ordres de la dictature — et qui a encore du mal à trouver ses lignes rouges déontologiques et à accepter le jeu démocratique du régulation.



1 Divulgation d’images entravant le travail des forces de l'ordre...avec l’aval du ministère de l’intérieur

Plusieurs caméras de la chaine publique el Wataniyya 1, Tunisna, etc. étaient pointées sur les positions des forces de la sécurité durant la prise d’otages.

Triple erreurs : les caméras peuvent ainsi révéler la position des agents de l'ordre en les transformant en cible ou encore aider à la fuite des preneurs d'otages. Sans compter que certaines séquences nous remarquons aisément que la distance entre les policiers armés et la caméra ne dépassait pas trois mètres, entravant les mouvements des policiers comme dans les extraits suivants.


Wataniyya 1, capture d'écran. Un policier a failli heurter la caméra en reculant lors de la libération des otages.





 
     
     Wataniyya 1
 Tunisna TV

Il est inimaginable que la présence de ces caméras n’est pas été autorisée par le ministère de l’intérieur. Il est également inimaginable que le ministère de l'intérieur puisse ignorer les risques que ces caméras font prendre aux agents de l'ordre. D'ailleurs, sous cette même raison, la caméra d'Al Jazeea fut empêchée de tourner. "Vous les aider (les terroristes)", prévenait un policier le journaliste d'Al Jazeera sur l'extrait suivant.

 



 
Al Jazeera



2 Mise en péril des vies des otages

Communiquer avec des otages à la radio ou montrer leurs visages en direct à la télévision ne présente aucune valeur informative. La seule valeur est “spectaculaire”. Que l’otage s’appelle Mohamed ou Mongia qu’il soit jeune ou vieux, retraité ou peintre en bâtiment, cela ne change absolument rien à la nature de l’information. Bien au contraire, ça met leurs vies en danger à cause du risque de représailles.

Les exemples d’erreurs dans ce sens se comptent par dizaines. Itele a discuté avec une otage française au téléphone qui, spontanément, a donné des informations pouvant aider les preneurs d’otage comme l’étage ou se trouvait les otages retranchées sans compter qu’ils ont exposé de l’otage “Geraldine” en la nommant. Extrait suivant à 0'17s






Céline Pigalle, directrice de la rédaction de la chaine, refuse de réagir  aux critiques et prétend que la mise en danger des otages est «un non-sujet».
Mais ce n’est pas la seule erreur. Plusieurs médias électroniques ont diffusé les photos des otages, rapidement relayé par des internautes qui ont massivement partagé ses photos.L

De son côté,  Wataniyya 1 a fait de nombreux gros plans — visages identifiables — sur des otages affichés à la fenêtre du premier étage du musée.




 

 
Le choix de “spectacularisé” une prise d’otage n’est pas anodin. La sobriété des images n’aurait en rien été une atteinte au droit à l’information du public et à la valeur informative du message délivré par les médias. Ce choix est probablement du à un manque de formation mélangé à une quête aveugle du sensationnel.


3 Atteinte à la dignité humainela mort en spectacle

 
Dans le registre du macabre, certains médias ont excellé. Quel est l’intérêt informatif pour le téléspectateur de voir Aymen Morjane, l’agent de la brigade anti-terrorisme expirer son dernier souffle dans une ambulance ? Quel est l’intérêt de montrer le corps d’une victime jeté à même la chaussée visage découvert ? Aucun, si ce n’est la recherche du spectaculaire. Vous comprendrez évidemment pourquoi je ne montre pas d'exemples dans cet article.



4 Révéler les identités présumées des preneurs d’otages ou des otages  avec les risques d'erreurs et d’homonymes



Ça devient presque un grand classique : les homonymes. Pas de chance pour Saber Khachnaoui qui porte le même nom que l'un des terroristes impliqués dans l'attaque du musée de Bardo. Plusieurs médias s'empressent de publier l'info et de suggérer que le terroriste était un militant du parti Ennahda à cause de sa photo de profil en compagnie du leader islamiste Abdelfattah Mourou. 

A cette heure ici, certains médias ne se sont pas rétractés et n'ont pas corrigé cette faute grave.



Réalités affirme que l'homme sur la photo est un terroriste


New Media Magazine
affirme que l'homme sur la photo est un terroriste "islamiste modéré"



5 Le Doublé...une spécialité BFM  



 “Deux ou trois hommes en tenue militaire tunisien et ouvrent le feu sur des étrangers” affirmait la voix off de BFM. Ce type d’information peut mettre en danger les militaires qui interviennent sur l’opération sans compter les risques de panique collective.







6 Passer du Nancy Ajram ou un documentaire sur les baleines durant une prise d'otages.

Il n'y a pas réellement d'entorse à la déontologie. Mais le public en plein crise de "surmoralisation" en voudra au média qui maintien une programmation classique. Par exemple, Mosaïque FM a été fustigée par certains auditeurs parce qu'elle donnait les résultats du foot durant la prise d'otages du Bardo.



Dans un espace dominé par la quêtes du buzz, du click, l’attrait du sensationnel et de l’audience à tout prix pour encaisser les revenus publicitaires menace sérieusement notre métier et notre démocratie. Nous ne rappellerons jamais assez que le métier de journaliste n’est pas un métier comme les autres cas il exige de celui qui l’exerce un grand sens de la responsabilité sociale. 

Rappelons qu’en France, après les attentant du 7 au 9 janvier 2015, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (le HAICA français), sanctionné plusieurs médias pour des 36 manquements dont 15 ont donné lieu à une mise en garde et 21 ont conduit des mises en demeure.


Mise à jour 25 mars : Avis HAICA sur le traitement médiatique de l'attaque terroriste du Bado



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