dimanche 15 juin 2014

Tunisie : Tout ce qu'il faut savoir sur les photos politiques de la semaine #1

"Qu'elle soit ou non manipulatrice ici ou là - nul ne niera le pouvoir envoûtant de l'image qui nous envahit" 
 François Dagonnet


C'est parti ! A partir de cette semaine, j'attaque une nouvelle chronique hebdomadaire sur Read Write World.  Je vais passer au décodeur les images les plus curieuses et les plus importantes de notre cirque politique national.

Cette semaine, deux images ont provoqué ma curiosité. Les deux nous montrer des leaders politiques dit "démocrates" en compagnie de leaders politiques d'ennahdha. 




Photo 1 :



Les faits : 

Cette photo nous montre Ahmed Néjib Chebbi — le président du bureau politique du parti Al Joumhouri —  aux USA durant le séminaire  Pour une démocratie  pendant les temps de crise (10-14 juin 2014)

Sur la droite de Néjib, nous retrouvons Ali Laarayedh  (ancien chef du gouvernementà et Sahbi Atig (porte parole du bloc parlementaire Ennahdha à l'assemblée) qui participaient également à ce séminaire.

Lecture technique : 

Point de vue : Cette photo est prise en contre-plongée (c'est-à-dire que l'appareil photo suivait une direction du bas vers le haut). Ce type de point de vue valorise le sujet en lui donnant une position de domination : les trois personnages nous regardent de haut, cela a pour effet de nous écraser en tant que spectateurs.




Composition : Au premier plan, nous voyons les 3 sujets épaule contre épaule. Cette posture est privilégié lorsque nous voulons montrer que les gens sont d'accord, qu'ils font partie d'une même équipe comme pour une équipe de foot par exemple.




Par ailleurs, Ali Laarayedh est en position centrale. C'est toujours le sujet le plus important que nous mettons au centre en photo comme en peinture.  Pour l'exemple, souvenez-vous de la Cène de Milan, le maginfique tableau de Leonardo Da Vinci représentant Jesus et ses apôtres à table. Jesus, le personnage le plus important est au centre bien entendu.








Interprétation : 

A mon sens, c'est une erreur de communication flagrante de la part de Néjib Chebbi pour les deux raisons suivante.

Awwalan : Tant qu'à être sur une photo avec des adversaires politiques, autant se mettre en position centrale et un demi pas en avant afin d'être l'axe visuel et symbolique principal et de paraître plus grand et plus important que les autres. C'est — sans conteste —Ali Laarayedh qui domine cette image politique.

Aussi, Néjib Chebbi est trop en bord cadre, ça donne un sentiment d'exclusion, de sortie imminente. Généralement, il faut laisser en bord cadre au moins la moitié de la largeur de taille du sujet de la photo pour éviter cette effet d'exclusion.

Thaniyan : Il n'est pas apprécié par une partie de l'opinion publique (et donc d'une partie de l’électorat dit progressiste) de voir un leader "progressiste" en connivence avec les leaders d'Ennahdha. Bien que cette réaction est — à mon sens — le plus souvent excessive et participe à la démonologie qui in fine renforce Ennahdha, Sahbi Atig et Ali Laarayedh ne sont pas n'importe quels leaders.

Le premier s'est distingué dans la mémoire collective des citoyens par ses appels au meurtre contre les manifestants qui contesteraient l'autorité de son parti  : 

 «Toute personne qui piétine la légitimité, en Tunisie, sera piétinée par cette légitimité. Pour ceux qui oseront tuer la volonté du peuple, aussi bien en Tunisie qu'en Egypte, la rue tunisienne sera autorisée à en faire autant, y compris d'en faire couler le sang (''youstabahou'')» 
Sahbi Atig, Avenue Bourguiba, 14 juillet 2013


Quant à Ali Laarayedh, il demeure le symbole de l’échec et de la connivence du gouvernement avec les terroristes d'Ansar Al Chariaa et autres wanna be Ben Laden.

Cette photo est encore une triste erreur de communication politique pour Néjib Chebbi, d'ailleurs, les réactions de nombreux citoyens dont quelques leaders d'opinion n'ont pas raté l'opposant historique. Après les déclarations maladroites de Néjib Chebbi dans Liman Yajro Faqat (Samir el Wafi, Ettounisya) et dans Ness Nessma (Meriem Belkadhi, Nessma TV), certains observateurs interprètent ces différents signe comme un adoubement de Chebbi par Ennahdha. Ils voient en lui le candidat i5wanistes.




Bien que le doute est toujours salutaire et dans le cas présent raisonnable, il me semble suicidaire pour un candidat de l'opposition de se présenter en assumant le bilan catastrophique d'Ennahda. 

Néjib Chebbi aurait certainement mieux fait de se faire prendre en photo avec Philip Gordon, le coordinateur des USA pour le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et la région du Golfe. Cela aurait aurait l'aurait montré comme un homme d’État qui possède une assise et des soutiens internationaux. Au lieu de ça...





Photo 2 :




Les faits :

Sur cette photo, —prise le 14 juin à l'hôtel Movenpick de Gammarth — nous voyons Béji Caid Essebsi — président du parti centriste Nidaa Tounes — et Rached Ghannouchi (Fethi Khriji de son vrai nom) — président du parti al i5wani en Tunisie,  durant la réception donnée par La Chambre de commerce américaine.



Lecture technique et interprétation : 

Composition :  

Au premier plan, nous distinguons Rached Ghannouchi (RG) face à Beji Caid Essebsi (BCE.)  
La symbolique de la composition en face à face est le plus souvent utilisée pour illustrer l'adversité entre les deux sujets. Exemples dans les affiches suivantes :





Par ailleurs, RG parait bien plus imposant et grand que BCE. Cela s'explique par deux choses. D'abord, la nature : RG mesure au moins 5 centimètres de plus que BCE. Ensuite, la prise photo : l'axe choisi par le photographe met en valeur RG puisque celui-ci est plus proche de l'objectif de l'appareil que BCE, ce qui l'agrandit et lui donner une posture dominante.

BCE a le buste avancé vers RG qui lui a le buste reculé. BCE semble ainsi être en demande et RG dans la posture du juge.

Nous remarquons également que RG affiche un sourire vrai, non forcé (les muscles orbiculaires autour des yeux sont activés), alors que BCE semblent hagard, le regard un peu perdu dans le vide.
Cependant, le regard de RG est porté sur BCE, ce qui lui redonne l'avantage puisqu'il est le centre d'attention de son adversaire.



Cette photo a également mis en défaut RG cette semaine. Il avait prétexté des menaces de mort pour expliquer son absence à un dîner prévu  organisé pour lui à Jendouba, où il devait rencontrer des hommes d'affaires et des agriculteurs de la région selon Taoufik Zaïri, le secrétaire général du bureau d'Ennahdha à Jendouba, dans une déclaration accordée à Mosaïque Fm, le 14 juin. Mais voilà, Rached tla3 yekdheb, et il a préféré passé la soirée à déguster des petits fours américains.

Aussi, sur la gauche nous reconnaissons le visage amical du garde du corps de RG, qui s'est illustré l'année dernière pour avoir défoncé la mâchoire d'un policier qui avait arrêté son frère pour vente d'alcool au marché noir.

Au second plan, nous découvrons Said Aidi, ancien ministre (gouvernement BCE), ancien membre d'Afek, ancien membre du Jomhouri (dima fel ancien) et nouveau baby Sebsi à Nidaa qui essaye de poser pour la photo (chacun fait comme il peut :) ).

Derrière les photos :

Le timing des deux photos me semblent extrêmement intéressant. A quelques heures d'intervalle, les deux photos sont le produit d’événements organisés par des instituions de coopération américaines. 
Ne voulant pas construire sur des hypothèses trop fragiles, je n'affirmerai pas que c'est une opération de communication qui remet en selle les leaders Nahdhaouis en les montrant des gens "tout à fait fréquentables politiquement".

PS : Ali Laarayedh me rappelle étrangement Mr Slave pas vous ?



















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